vernissage: sat. April 20 (7pm)
finissage: sat. May 04 (7pm)
http://www.yanntostain.com/
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curated by delphine marinier
What is a photograph but Medusa’s eye that petrifies everything,
and brings time and motion to their end? Those who define themselves – whom we
decided that they would so –as “travelling people” as we shall tactfully say,
in reason of their nomadism, those human beings that have that uncertain
presence, how to fix them on the
roll?
As we all know, Perseus overcame Medusa by viewing her reflection in his
polished shield, so he would not have to really cross her eyes. Yann Tostain is
riding no Pegasus, however, by getting into the Roma community in Statu Mare
County or in Gazela slum in Belgrade, he may be willing to kill the Gorgon and
solve the ontological incompatibility lying in between the camera, which
captures, freezes, calcifies, and its subject: transitional and restless
people, men, women, children dedicated, according to some European policies, to
ever be passing? His shield appears
to be a specular device that draws its sources from various fields such as street art, the Düsseldorf School, and
advertisement: he takes photographs of his own photographs, and savagely puts
them up on the advertising walls. He is depositing layers of the image, which
is not the capture of reality anymore, but, like this picture in a picture of a
child who holds it, it is something that touches gentfully, respectfully one
thing impossible to capture.
The artist is invading advertising spaces, and showcases these Roma
people portraits where we would expect to see consumer goods. We can only
marvel at such a humor for it is properly incongruous. Is Yann Tostain willing
to sell us Roma people? He is at least borrowing this idea from a chosen
Romanian man in order to entitle his series: De ce dracu nu-I vindem? It means something like: “Why the fuck
don’t we sell’em?” If we didn’t recall that not so long ago Roma people were in
fact sold for serfdom, this title could sound like a joke and its good cynicism
would make us laugh.
These portraits are as much an image which can’t seem to stop appearing
as one which can’t seem to stop fading out. In some of them, it is like if we
were looking at a picture in the process of being developed, dipped into the
developing solution which makes the invisible becoming visible to our eyes. It
is some kind of epiphany: vagabonds one, those we cannot see’s, those we don’t
want to see, those we’d even wish to circumscribe, to frame, in order to make sure that they don’t become a part of our
world. In others, it is just like if he captured a fadeout, like if the picture
had been overexposed, or that the subjects hadn’t stayed still long enough to
be fixed on the roll – maybe they didn’t want to? Maybe they just couldn’t?
Those places showing these portraits, train station, bus station, roads, they
all say one same thing: transit humanity. This frame, which really shows them,
also isolates them. Like the places chosen by the artist going from Marseille
to Moscow, from London, Berlin, Stockholm to Timisoara or Arad, this diptych,
which cut one community into two parts, is nothing more than the spreading of
those people all around Europe. Yann Tostain may very well has purposely made
his settings look like a museum to make Roma people become a part of our
patrimony for the outsider is put right in the center of what excludes him.
He shows off the very fragility of a photograph and gives us a metaphor
for Roma people living conditions and state of insecurity; these images become
the only legitimate way of representing what’s transitional, it is a way of
reinventing the genre of portrait, of subverting it even, for it is
traditionally dedicated to well-established noteworthy people, to important
figures of society. But here, we don’t have even names to put on those
photographed faces.
Yann Tostain presents Roma people, with neither other-worldliness nor
pathos, as that raw ingredient our societies won’t eat, as that grain of sand
stopping smooth-running systems, tarnishing too shiny windows of success. They
are not only victims, but emblems: because they are belonging to no place, they
are literally the utopia of a resistance to world globalization, of a way to
escape from the frame that traps us; they are like shifting small islands of
otherness, impossible to catch.
Text: Nicolas Oltramare
Translated by C. Reybaud
Qu’est-ce qu’une photographie, sinon
l’œil de Méduse qui pétrifie tout en abolissant le temps et son
mouvement ? Comment fixer sur la
pellicule des êtres à la présence indécise, qui se définissent – ou qu’on
définit de force – par leur nomadisme, d’une pudique périphrase : les
« gens du voyage » ?
On le sait, pour vaincre la Méduse,
Persée s’aida de son bouclier comme d’un miroir afin de la voir, sans la
regarder. Yann Tostain ne chevauche aucun Pégase, cependant, en pénétrant chez
les Roms de Satu Mare ou chez ceux du bidonville de Gazela à Belgrade, il
semble vouloir tuer la Gorgone et résoudre l’incompatibilité ontologique entre
l’objectif de l’appareil, qui saisit, arrête, calcifie, et son sujet :
hommes, femmes, enfants, transitoires et mouvants, que des politiques
européennes vouent à n’être jamais que de
passage. Son bouclier sera donc un dispositif, spéculaire, puisant à des
sources aussi variées que le street art,
l’école de Düsseldorf et la publicité : il photographie ses photographies,
placardées plus ou moins sauvagement sur les murs de la réclame. Il opère
ainsi une stratification de l’image, qui n’apparaît plus comme la saisie du
réel, mais comme l’effleurement respectueux d’une chose insaisissable – à
l’image de cette photo d’une photo où un enfant brandit la photo en question.
C’est incongru, au sens plein du terme
et l’on ne peut qu’être frappé de l’humour avec lequel l’artiste envahit les
espaces publicitaires et nous présente ses portraits de Roms en lieu et place
des biens de consommation attendus. Yann Tostain voudrait-il nous vendre du
Rom ? Si ce n’est la sienne, c’est du moins l’idée énoncée par un élu
roumain dont il emprunte les propos pour titrer sa série : De ce dracu nu-i vindem ?
soit à peu près : « Mais putain, pourquoi on ne les vend
pas ? » Titre aux allures de blague et dont le cynisme de bon aloi
ferait sourire si l’on ne se souvenait tout à coup que la vente de Roms pour le
servage n’est pas une pratique si lointaine.
Ces portraits sont autant une image qui
apparaît qu’une image qui s’efface. Tantôt, on croirait voir une photo en cours
de développement, dans le liquide révélateur qui fait advenir l’invisible au
regard. Une sorte d’épiphanie : celle du vagabond, de ceux qu’on ne voit
pas, qu’on ne veut pas voir, qu’on voudrait même circonscrire, encadrer, pour qu’ils ne se fondent
surtout pas au reste de la population. Tantôt, c’est la saisie d’un effacement,
à la manière d’une photo surexposée, ou dont les sujets n’auraient pas respecté
le temps de pose nécessaire pour imprimer la pellicule – ne l’ont-ils pas
voulu ? Ne l’ont-ils pas pu ? Gares, stations de bus ou routes, les
lieux qui supportent ces portraits disent tous la même chose : humanité en transit. Le cadre qui les met en avant
est aussi ce qui les isole. Le diptyque qui coupe une communauté en deux ne dit
rien d’autre que leur dispersion aux quatre coins de l’Europe, à l’image des lieux
choisis par l’artiste s’étendant de Marseille à Moscou, de Londres, Berlin,
Stockholm à Timisoara ou Arad. Le marginal se retrouve mis au cœur même de ce
qui l’exclut, et on soupçonnerait presque Yann Tostain d’avoir donné à ses
décors des airs de musée pour faire entrer le Rom dans notre patrimoine
En exhibant la fragilité même d’une
photo, il nous offre une métaphore de la condition des Roms et de leur
précarité ; il fait de ses images le seul mode légitime pour représenter
le transitoire, renouvelant ainsi – ou subvertissant – le genre du portrait,
traditionnellement consacré aux notables installés,
aux figures d’une intégration réussie. Ici, pas même de noms pour identifier
les individus photographiés.
Sans angélisme ni pathos, Yann Tostain présente les Roms comme l’élément indigeste
que nos sociétés ne parviennent pas à consommer, le grain de sable qui enraye
les systèmes trop bien huilés, fissure les façades de réussite au grain trop
lisse. Ce ne sont pas seulement des victimes, mais des emblèmes : êtres
sans lieu, ils sont, littéralement, l’utopie
d’une résistance à l’uniformisation du monde, d’une évasion face aux cadres qui
emprisonnent ; des îlots mouvants d’altérité imprenable.
Texte : Nicolas Oltramare